Quelle agriculture pour demain? Bases, enjeux et solutions

En Février 2016, des membres de la FRANE ont assisté à une conférence de M. Marc Dufumier, venu au campus des Cézeaux expliquer les bases, objectifs et enjeux de l'agriculture d'hier, d'aujourd'hui et de demain. Retrouvez les éléments les plus marquants et l'avis de la FRANE sur la thématique.

 

Marc Dufumier est agronome et enseignant-chercheur à la chaire d’agriculture comparée et de développement agricole à AgroParisTech qu'il a dirigée de 2002 jusqu’à sa retraite en 2011. Il est l’auteur de nombreux ouvrages sur ce thème.

Lors de cette conférence, l’objectif était de faire un état des lieux de la situation actuelle des sols et modèles agricoles et de déterminer quel pourrait être le modèle agricole futur, tout en rappelant les enjeux de l’agriculture.

En rappelant les enjeux de l’agriculture, Marc Dufumier a posé les bases et les objectifs qui incombent à l’agriculture : alimenter la population mondiale en qualité (une alimentation nutritionnelle sainte et équilibrée tout en conservant la qualité gustative) et en quantité suffisante tout en maintenant l’avenir des potentialités productives.

 

Un contexte actuel issu des erreurs du passé : tout cela parce qu’on a voulu faire de l’agriculture industrielle

Le constat est quasiment unanime, le réchauffement climatique global est aujourd’hui avéré, avec des effets évidents sur le climat ou encore les cycles biologiques. Depuis l’après-guerre, des changements sociétaux se traduisent par l’exode rural généralisé, la raréfaction des ressources naturelles non renouvelables, le chômage croissant, l’extension intensive des villes… Et le modèle agricole y a sa part puisque 51 % des GES dus à l'agriculture sont constitués par le N2O (gaz à effet de serre X 300 par rapport au CO2), ce gaz provient des engrais azotés. Le CH4 issu de l’élevage et des cultures de rizières a un potentiel à effet de serre 25 fois plus important que le CO2.

A la suite de la pénurie alimentaire d’après-guerre (besoins en lait, céréales et sucre), la France a voulu développer un système agricole qui puisse être à haut potentiel génétique (développer des espèces plus résistantes par exemple) à haut rendement (donc plus rentable), et transposable n’importe où. Les ingénieurs agronomes ont alors rapidement bâti des modèles répondant à ces attentes. Mais à force de simplification, d’extension massive, de spécialisation exagérée et d’homogénéisation du vivant, niant les contextes locaux et la diversité variétale ou génétique, les cultures sont devenues fragiles, dépendantes des traitements et plus sensibles aux espèces invasives. Par la même occasion, ces pratiques se répercutent sur la qualité des sols, l’appauvrissant jusqu’à le rendre stérile et mort. On avait alors réussi à appliquer les concepts industriels à un domaine pour lesquels les paramètres de variabilité sont très nombreux. C’est alors que les termes de pollution de l’eau et de l’air, d’espèces invasives, de déséquilibres biologiques, d’érosion des sols, de dissociation culture/élevage ou encore d’exclusivité des semences sélectionnées ont commencé à faire parler d’eux.

 

Un constat accablant qui trouve des solutions

Si des dérives ont été identifiées, les solutions existent et des actions peuvent être mises en place dès maintenant. Elles trouvent leur source dans un modèle agronomique/agricole fondé, durable et abouti qui est celui de l’agroécologie. A l’inverse d’un système cloisonné et délimité, celui-ci remet en lien la culture avec la terre et le climat et raisonne à l’échelle de l’écosystème cohérent. S’il est aberrant de voir des cultures de maïs (gourmandes en eau) dans des zones où l’eau peut se faire rare, il devient évident de mettre en cohérence la situation géographique (température, quantité d’eau, qualité du sol, pente…) et pédoclimatique avec les variétés cultivées (besoins en éléments, en eau, en ensoleillement). Pour profiter des éléments naturellement fournis par la biomasse ou le soleil, il est alors indispensable de ne pas laisser les sols nus (privilégier une couverture végétale maximale) en favorisant les cultures intermédiaires par exemple (le soleil n’est pas près de s’arrêter de rayonner de sitôt), et le développement des mycorhizes en combinant les cultures graminées et légumineuses productrices de protéines végétales. Les associations d’espèces et de culture/élevage permettraient aussi de bannir l’utilisation d’engrais et de pesticides (défavorable à l’action des organismes présents dans la terre). L’association culture/arboriculture (agroforesterie) en est un bon exemple, permettant ainsi de rendre disponible les éléments présents dans le sol profond. Une des solutions proposées est encore de supprimer le labour et de remplacer les prairies permanentes par des prairies temporaires pour 4 années.

 

En pratique, le changement, c’est pour quand ?

Même si les délais de mutation sont compris entre 10 et 100 ans compte tenu des systèmes techniques complexes et locaux en place, les solutions existent, mais en pratique, elles nécessitent d’être accompagnées de mesures financières adaptées et des décisions sur le long terme.

 

En conclusion

Au-delà des orientations politiques stratégiques, ce sont les consommateurs, les environnementalistes et les paysans eux-mêmes qui feront avancer les choses, il est indispensable que cela se fasse ensemble, sans sectarisme et il faut qu'ils ne se dressent les uns contre les autres. N’oublions pas que les paysans sont plus des victimes que des mauvais acteurs. Et parce que les rustines ne suffiront pas, c’est à nous tous de rendre ce nouveau modèle agricole durable, écologiquement responsable et économiquement réalisable (système rémunérateur à transformer). La généralisation des circuits courts en est d’ailleurs un bon exemple. L’agriculture, la forêt et les sols sont une clé de la solution, bien plus qu’un problème.

 

Commentaires et position de la FRANE

Ce sont grâce aux volontés politiques que les changements peuvent être amorcés et durables.

Le projet 4 pour mille (des sols pour la sécurité alimentaire et le climat) a été proposé officiellement fin 2015 par le CGAAER (ministère de l'agriculture). Il montre que des mesures relativement simples au niveau de l'agriculture et de la forêt pourraient contribuer grandement à l'atténuation des effets du changement climatique (diminution notable de l'émission des GES + capacité de stockage du CO2) en même temps qu'à l'adaptation qui doit se mettre en place très vite. Le GIEC en 2014 a reconnu l'importance du rôle conjoint de l'agriculture, de la forêt et de la réaffectation des sols (AFOLU soit « other land use »), qui ensemble contribueraient pour 24% des émissions de GES au niveau mondial.

La réappropriation des sols dégradés permettrait de compenser petit à petit par le stockage annuel de carbone dans les sols (agricoles, pastoraux, forestiers, autres..) les émissions de GES (émissions annuelles- séquestration dans océans et biosphère/stock mondial de CO2 dans sols superficiels = 0,4 %.).

En France, 101 Mt eq CO2/an en 2012 ont été émis par agriculture et élevage (soit 20 % du total des GES). S’il l’on combine les pratiques agro écologiques, l’amélioration de la gestion forestière, la préservation des sols contre l’artificialisation et la réduction du gaspillage alimentaire, c’est 50 à 70 Mt eq CO2/an qui pourraient être réduits.

 

Ce projet a reçu à la COP 21 l’appui d’une quarantaine d’états et d’une soixantaine d’organisations. Ce projet disposera d’un comité de pilotage, il appuiera des actions de recherche et des initiatives d’acteurs en faisant appel à du financement de la Banque mondiale et des fondations. Un bilan sera tiré au Maroc fin 2016 à la COP 22.

 

La France pour sa part s’engage à avoir au moins 50 % de ses exploitations engagées dans l’agro-écologie d’ici à 2020. Mais les mentalités doivent encore bien évoluer pour cela... (Ex : élevage en prairie seul compatible etc.). Nous devons faire en sorte qu'un jour ces propositions soient audibles par tous, des agriculteurs aux consommateurs.

Les travaux, publications et conférences de Marc Dufumier notamment sont des contributions très importantes à cette évolution.

 

 

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